mardi 31 janvier 2023

Navya et Hopium : pourquoi tant de haine ?

D'où vient ce mal français qui consiste à se réjouir des difficultés de sociétés qui cherchent simplement à innover ? J'éprouve un véritable malaise à lire la férocité des commentaires qui accompagnent le partage sur les réseaux sociaux des articles relatant la mauvaise passe traversée en ce moment par Navya et Hopium, spécialisées respectivement dans les navettes autonomes et la voiture sportive à hydrogène. Entre les soupçons d'enrichissement personnel, les affirmations du type "ce n'est pas étonnant", "je vous l'avais bien dit" : c'est la fête du slip. Et intellectuellement, on n'atteint pas des sommets. 

Pourquoi tant de haine ?

S'agissant de Navya, la société a demandé son placement en redressement judiciaire. La procédure est "destinée à permettre la poursuite de l'activité de l'entreprise, le maintien de l'emploi et l'apurement du passif". L'entreprise peut très bien se redresser, comme être cédée (partiellement ou totalement) ou être mise en liquidation judiciaire. A ce stade, Navya n'a pas disparu.

Pour ce qui est d'Hopium, qui a été mis en lumière au Mondial de l'Automobile (et à juste titre avec une très belle voiture), la jeune société n'a pas encore de rentrées - malgré une belle promesse de précommandes - et dépense trop, notamment en masse salariale. C'est la raison pour laquelle deux directeurs généraux, spécialistes de la finance, encadrent le fondateur. Là encore, un tour de vis dans le management ne veut pas dire nécessairement la fin de l'aventure. 

Dans les deux cas, il s'agit de sociétés côtées en bourse qui ont choisi d'aller chercher des fonds sur les marchés financiers auprès d'investisseurs, et qui ne dépendent donc pas de fonds publics. 

Revenons à présent sur la genèse de ces deux boîtes. 

Navya a été fondée en 2014, en reprenant des brevets développés par Induct. La société a été créée par Christophe Sapet, cofondateur des sociétés Infogrames et Infonie, en association avec le fonds d’investissement Robolution Capital, présidé par Bruno Bonnell. Son mérite est d'avoir déployé plus de 200 navettes de niveau 4 (sur une échelle qui va jusqu'à 5) dans 25 pays. Il se trouve que la France a une vraie expertise dans ce domaine, comme en témoignent d'autres entreprises comme Easymile, Lohr et Milla Group. Des erreurs de management (comme le choix de vouloir se lancer beaucoup trop tôt dans le robot-taxi et le fait de ne plus fabriquer de navettes et de se concentrer à la place sur le logiciel) expliquent sans doute ce parcours en dents de scie. Pour autant, Navya a un vrai savoir-faire, avec des premières technologiques inégalées (par exemple du roulage en peloton sur l'aéroport JFK à New-York). Dans le monde, il n'y a qu'une poignée d'acteurs capables de maîtriser toute la chaîne. 

Et pourtant, que peut-on lire dans les commentaires ? Que le véhicule autonome ne marche pas, qu'il n'y a pas de modèle économique. D'ailleurs, quand une entreprise connaît une défaillance, comme la start-up américaine Argo AI (qui a été lâchée par Ford et Volkswagen l'an dernier), c'est tout de suite la fin du monde pour tout le secteur. Pourtant, les principaux acteurs sont toujours là avec Google (Waymo), General Motors (Cruise), Hyundai (Motional, qui a un accord sur 10 ans avec Uber), Mobileye (qui appartient à Intel). Et les chinois y vont à fond. Contrairement à ce que je peux lire, l'industrie automobile n'a pas renoncé à l'automatisation de la conduite, elle améliore graduellement ses produits pour les particuliers, tout en explorant la possibilité d'adresser des marchés professionnels avec des véhicules différents. A propos des navettes, le groupe allemand ZF a passé un accord avec un opérateur américain (Beep), prévoyant le déploiement de plusieurs milliers de navettes aux USA.

Hopium a été créé en 2019. Il se trouve que je connais le fondateur, le jeune pilote Olivier Lombard, qui a participé au développement de MissionH24, le prototype élaboré par l'Automobile Club de l'Ouest et GreenGT pour introduire l'hydrogène aux 24 h du Mans (en 2025). Il a eu une révélation et a estimé que la technologie avait du potentiel. C'était un pari risqué, mais il a eu le courage de monter sa boîte. Se comparant imprudemment à un Tesla de l'hydrogène, il a eu plutôt bonne presse. Et la start-up, qui a présenté en statique un premier concept en 2021, puis un second en 2022, a connu son heure de gloire au Mondial de l'Automobile. Consécration : le Président Macron est venu sur le stand alors que ce n'était pas prévu. De plus, à la fin du salon, le Crédit Agricole (par sa branche Consumer Finance, qui est un acteur majeur en Europe dans le leasing pour particuliers et professionnels) a annoncé un protocole d'accord pour précommander 10 000 exemplaires de l'Hopium Machina pour un montant de 1,2 milliard d'euros. Il ne s'agissait que d'une lettre d'intention, et se concrétisant si la marque est capable de livrer les véhicules en 2025, mais ça a fait très forte impression. 

Evidemment, la révélation par les Echos des difficultés d'Hopium (en se basant sur un communiqué que personne n'avait remarqué en fin d'année dernière) est venue renforcer les convictions de ceux qui ne croient pas en l'hydrogène. De plus, il y a du délit de faciès. Le fait que Jean-Baptiste Djebbari, ancien ministre d'Emmanuel Macron, soit Président du conseil d'administration, est venu alimenter le fantasme d'une escroquerie. Et pourquoi donc ? Parce que cet ancien pilote a travaillé pour une compagnie aérienne qui a fait de l'optimisation fiscale au Luxembourg (selon la direction, M. Djebbari n'a joué aucun rôle dans la gestion). Ce que l'on peut dire, c'est qu'Hopium n'a pas eu besoin de fonds publics pour se développer. Et il n'y a pas si longtemps, l'entreprise se vantait de ne pas avoir touché à ses lignes de crédit. Par ailleurs, des partenariats ont été annoncés avec Plastic Omnium, Bridgestone, Saint-Gobain Sekurit. Et 16 brevets ont été déposés. Donc, il y a du concret. Mais, vous l'avez compris, on plonge dans l'irrationnel. 

Pendant ce temps, personne ne parle du fait que Renault et Stellantis font des utilitaires à hydrogène produits en France. Il se trouve qu'on a tous les atouts dans notre pays pour réussir la course dans ce secteur, avec des entreprises qui occupent toute la chaîne de valeur (piles à combustible, réservoirs, électrolyseurs, production d'hydrogène vert). Il y a des grands groupes, des PME et des start-ups qui ne demandent qu'à concrétiser leurs innovations.

Que faut-il retenir de tout cela ? Il est clair qu'en France on préfère tirer sur des ambulances plutôt que de créer de la valeur et des emplois. On se fait moins mal aux neurones. Aux Etats-Unis, l'échec est considéré plus positivement, car l'entrepreneur est censé apprendre de ses erreurs et a droit à une deuxième chance. Mais après tout, si on préfère se laisser imposer de la technologie développée par des américains et des chinois, pourquoi pas ... Dans ce cas, il ne faudra pas après se plaindre qu'il n'y ait pas d'innovation chez nous. En fait, il y en a, mais on ne sait pas forcément accompagner les entreprises jusqu'au passage à l'échelle. 

8 commentaires:

  1. Enfin ! Une personne avec une vrai analyse … Bravo et courage à ces deux sociétés

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  2. Très bel article sur ce qui bloque notre industrie aujourd'hui. Bravo à ces entrepreneurs qui ont une vrai vision de l'avenir. Hopium trouvera des vrais investisseurs ailleurs qu'en France car nous sommes trop frileux.

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  3. Oui merci pour cette analyse.
    Il n'y a pas d'innovation potentielle sans risque, c'est la règle du jeu et sa difficulté.
    Les success-stories omettent rapidement les détails, et le "lecteur distrait" voit cela comme une exponentielle bien régulière. Il ne comprend donc pas quand ça peine.

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  4. Pour Hopium, on est pas sur du French bashing. Une start-up relève des fonds si son modèle et ses ambitions sont viables, ... ce qui ne semble pas être le cas. Il y a plein de talentueuse start-up en France, qui grandissent en misant sur l'innovation , au lieu de la communication...
    Un autre point de vue, afin de se faire sa propre idée :
    https://www.labourseauquotidien.fr/hopium-future-tesla-pump-dump/

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  5. Bravo et merci Laurent pour cette synthèse ! En particulier en cette période où les médias de relaient que la dévalorisation du travail et de l’entreprenariat. Il faut que les politiques se forment et s’informent afin de tirer des leçons de certaines erreurs passées qui nous ont fait perdre de l’avance technologique et des avantages compétitifs…

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  6. Beaucoup d’entreprises ont frôlé la faillite avant de rebondir et faire des milliards de chiffre d’affaires.

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  7. Navya sera racheté pas Israël. et hop
    Elle voudra des milliard. C sa le jeu

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  8. Merci pour ce décryptage. Aller ! On avance maintenant ! On étudie, on se pose les bonnes questions et on fait avancer les choses. Comment être de la partie ?

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